Les gardiens K’ahsho Got’ine luttent contre les incendies de forêt et soutiennent lesinterventions d’urgence dans les T.N.-O.

Un incendie de forêt s’approche de la communauté de Fort Good Hope, dans les Territoires du Nord-Ouest, le 15 juin 2024.

Toutes les photos sont publiées avec l’aimable autorisation de Twyla Edgi-Masuzumi

15 juillet 2024

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Le samedi 15 juin, Twyla Edgi-Masuzumi et ses collègues gardiens préparaient le déjeuner sur les rives du fleuve Mackenzie. Ils ont alors remarqué un panache de fumée s’élevant de la forêt en direction de leur communauté de Fort Good Hope, dans les Territoires du Nord-Ouest. Twyla, coordinatrice des gardiens pour la K’ahsho Got’ine Foundation (KGF), et six autres gardiens du programme étaient sur le terrain depuis trois jours, occupés à préparer leur camp de pêche. Les gardiens de la KGF organisent et dirigent le camp afin que les Aînés et les jeunes puissent se réunir et apprendre à fabriquer et à poser des filets de pêche, à attraper des poissons, à sécher des bâtonnets de poisson – des pratiques de base pour les K’asho Got’ine. « Nous avons descendu le fleuve pour poser d’autres filets et nous avons aperçu un peu de fumée. Il faisait tellement chaud et sec que lorsque le vent s’est levé, le feu s’est propagé très rapidement », a déclaré Twyla. 

Comme ils sont les yeux et les oreilles des K’asho Got’ine sur le territoire, les gardiens disposent d’équipements comme des systèmes de communication par satellite Garmin InReach qui leur permettent de communiquer depuis des endroits éloignés. Après avoir reçu des messages de membres de la communauté indiquant qu’ils pourraient être évacués en raison de la menace d’un incendie de forêt, Twyla et son équipe ont rapidement décidé de retourner dans la communauté et d’apporter toute forme d’aide nécessaire. À leur retour, ils ont aperçu les flammes aux abords du village. L’ordre d’évacuation avait été donné par Joseph Tobac, sous- chef et gardien lui aussi.

Les flammes atteignent la piste d’atterrissage de Fort Good Hope (T.N.-O.)

Lorsque l’ordre d’évacuation a été donné, les gardiens étaient prêts. Non seulement ils possèdent l’expertise nécessaire pour mettre en place et gérer divers programmes sur le territoire, comme des camps de pêche, mais ils sont également formés pour répondre aux situations d’urgence – y compris les incendies de forêt – et la communauté les considère comme des leaders et des facilitateurs. Dans les semaines précédant le programme du camp, les gardiens ont mené diverses activités, comme l’échantillonnage d’oiseaux sur le territoire, le soutien au camp culturel annuel de tannage de peaux d’orignal, l’échantillonnage de poissons aux abords du fleuve, l’installation du camp de pêche, les opérations de recherche de deux bateaux disparus et la préparation de poisson séché. C’était avant de se retrouver au cœur des évacuations d’urgence. 

Face à cet incendie, les leaders de la communauté et les gardiens ont rapidement élaboré un plan pour évacuer de nombreux membres de la communauté vers le camp de pêche déjà installé. À titre de sous-chef, le gardien Joseph Tobac a joué un rôle de leader dans la foulée de l’ordre d’évacuation, dans les activités de planification en collaboration avec Mitchell Shae, chef des pompiers de Fort Good Hope, et dans le soutien apporté aux efforts déployés pour déterminer les lieux d’accueil pour les personnes évacuées – notamment Norman Wells et Délı̨nę, mais aussi le camp de pêche des gardiens. Toutes ces activités ne l’ont pas empêché d’agir en première ligne. Pendant ce temps, Twyla raconte qu’ils ont commencé à rassembler du matériel – tentes en toile, tentes autodépliantes, literie, tout autre équipement à portée – et à remplir leurs bateaux pour permettre au camp, dont la capacité d’accueil était de 40 personnes, d’accueillir plus de 100 personnes.

Twyla Edgi-Masuzumi apporte les poteaux de tente au camp de pêche de la KGF

Pendant plusieurs années, les gardiens K’ahsho Got’ine ont également codirigé deux camps culturels sur le territoire dans le cadre du programme des jeunes de la bande des Dénés de Fort Good Hope et de la communauté à charte de K’asho Got’ine. Ainsi des fournitures supplémentaires provenant de ce programme étaient disponibles en cas d’évacuation d’urgence. Twyla et ses collègues gardiens se sont mobilisés rapidement et ont collaboré avec le bureau de bande pour obtenir l’équipement et les fournitures nécessaires, et les transporter sur le fleuve, ce qui a permis d’accueillir un nombre beaucoup plus élevé de membres de la communauté. « Il est si important pour les communautés d’avoir ces fournitures en cas d’urgence. Nous sommes chanceux d’avoir eu suffisamment de tentes et de literie – et même des filets – pour héberger 120 personnes au camp de pêche. Nous [les gardiens] avions réservé ce camp. Ce n’était peut-être pas un hasard que nous étions supposés avoir ce camp. 

Le gardien Buddy Gully conduit un bateau qui livre des mâts de tente au camp de pêche

Mais fournir du matériel, transporter les membres de la communauté en lieu sûr et rester calme n’étaient pas les seules tâches des gardiens ce jour-là. Twyla et ses collègues gardiens Joseph Tobac, Danny Masuzumi, Darcy Edgi, président de la KGF, ainsi que de nombreux membres de la communauté, dont le chef, des pompiers K’asho Got’ine chevronnés, jeunes et moins jeunes, et le chef des pompiers, Mitchell Shae, ont œuvré en première ligne afin d’empêcher le feu de forêt d’atteindre Fort Good Hope le premier jour.

Après les incendies d’envergure survenus près de Yellowknife et d’autres feux incontrôlés dans tout le pays en 2023, les gardiens K’ahsho Got’ine voulaient être prêts. Twyla, Joseph et d’autres personnes avaient suivi la formation « Beat the Heat » (Vaincre la chaleur) offerte par le groupe Yukon First Nations Wildfire pour devenir des pompiers forestiers certifiés en gestion des incendies et en intervention d’urgence. En réfléchissant à la réponse à apporter lorsque chaque seconde compte, Joseph a souligné que « la formation a porté ses fruits. Je me suis assuré que la pompe à incendie soit mise en marche immédiatement! » 

Non seulement les gardiens ont suivi le cours, mais ils ont également encouragé d’autres membres de la communauté à obtenir leur certification, juste au cas où. « Nous avons suivi la formation parce que nous voulions être prêts, et nous sommes très heureux de l’avoir fait. Ces connaissances et cette formation sur la façon de lutter contre le feu et de rester en sécurité ont joué un rôle important pour la suite des choses, raconte Twyla. Je me souviens avoir appelé les membres de l’équipe des gardiens et leur avoir dit : “Allons-y!” » 

Vue du feu de forêt qui se propage près de Fort Good Hope depuis le fleuve Mackenzie

À moins de s’être déjà retrouvé à proximité d’un incendie de forêt, il est difficile d’imaginer l’ampleur de l’intensité d’un brasier et le sentiment de terreur que l’on peut alors ressentir. La communauté de Fort Good Hope a vécu cette réalité de très près. Jamais un incendie de forêt n’avait fait rage aussi près de la communauté. Ce jour-là, les flammes étaient aux abords du village, la fumée se propageait dans le ciel et le feu progressait rapidement. Toute la nuit, Danny Masuzumi était au volant du camion de pompiers alors que Twyla et Joseph, aidés des gardiens et de membres de la communauté, arrosaient le brasier pour le contenir et sauver le village.

« C’est ce qui fait la force des communautés : on se serre les coudes, affirme Twyla. Ce jour-là, seule une petite équipe du service d’incendie du GTNO était présente à Fort Good Hope. La communauté a joué un rôle prépondérant, mettant à profit leurs boyaux d’arrosage et recueillant l’eau de surface. La tâche était ardue, l’air rempli de fumée, mais tous ont persévéré. » 

Les gardiens sont souvent des « touche-à-tout » : ils aident à renforcer les capacités d’autres organisations et programmes communautaires et assurent la surveillance de l’environnement sous la direction de la communauté. Cela dit, comme ils sont présents sur le terrain, ils sont de plus en plus souvent en première ligne. Ils œuvrent à protéger les communautés contre les incendies de forêt en plus d’exercer diverses responsabilités en matière d’intervention d’urgence. En outre, compte tenu des menaces croissantes liées aux changements climatiques, il est de plus en plus important que les gardiens soient formés à la lutte contre les incendies de forêt. 

Après trois jours passés à combattre l’incendie, Danny nous confie qu’il craint de voir la situation s’aggraver d’année en année. Il insiste sur l’importance primordiale de renforcer les activités de surveillance et la capacité d’intervention du gouvernement du territoire. « Nous estimons avoir constamment fait valoir notre point de vue en matière de protection contre les incendies auprès du gouvernement, affirme Danny, qui souligne au passage la grande valeur de la formation et du soutien que la communauté a reçu de la part de l’organisation Yukon First Nations Wildfire. 

Amy Christianson, Ph. D., membre de l’Initiative de leadership autochtone, est une experte en matière de pratiques autochtones de lutte contre le feu et de gestion des incendies de forêt. Elle a souligné récemment l’importance de former les gardiens à la lutte contre les incendies de forêt en énonçant les avantages qui en découlent pour les communautés autochtones au Canada. Elle fait également ressortir les avantages de la présence de gardiens bien formés et situés stratégiquement sur le territoire, en particulier dans les régions isolées où les agences de lutte contre les incendies disposent d’effectifs réduits. Amy souligne un autre avantage des gardiens dans la gestion du feu : ils peuvent être mis à contribution tout au long de l’année pour intervenir en cas d’incendie, mais aussi pour mener des brûlages culturels et réaliser des activités de prévention, de sensibilisation, de planification des évacuations et de rétablissement après un incendie de forêt. « Bien souvent, nous oublions la période de rétablissement après un incendie; les gardiens peuvent aller sur le terrain et évaluer ce qui doit être fait pour restaurer le territoire et les valeurs culturelles. » 

Fumoir à poisson sur le bord du fleuve Mackenzie

Après la première intervention d’urgence, Twyla a rejoint ses collègues gardiens qui ont travaillé avec diligence à l’installation du camp de pêche afin d’y accueillir 120 personnes. Tout est calme aujourd’hui, mais ce fut une période de travail très intense où il a fallu : installer un générateur et brancher deux congélateurs et un réfrigérateur, aménager une cuisine, préparer des repas et monter des dizaines de tentes – « Les tentes autodépliantes… une bénédiction! », fait remarquer Twyla. Nous avons aussi tout mis en œuvre pour assurer le confort de tous les participants. Elle a passé beaucoup de temps à rassurer les gens, à parler de tous ceux qui étaient restés debout toute la nuit et qui n’ont pas perdu leur maison. 

Enfants de la communauté, en sécurité au camp de pêche

« Je n’oublierai jamais le sentiment de soulagement qu’on pouvait lire sur leurs visages et le fait qu’ils ont pu rentrer chez eux en toute sécurité. » Les personnes évacuées ont également ressenti une certaine tranquillité – une connexion émotionnelle liée au fait d’être en sécurité, sur le territoire, dans ces moments très intenses. Pendant ce temps, d’autres comme Darcy et Joseph, sont demeurés à pied d’œuvre pendant des jours, jusqu’à ce que la communauté ne soit plus directement menacée. 

Les leaders et les dirigeants de la communauté poursuivent leur collaboration avec la nouvelle équipe de pompiers de Fort Good Hope, l’organisation Yukon First Nations Wildfire et les équipes de pompiers du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest afin de déterminer quand il sera possible de retourner à Fort Good Hope en toute sécurité. La plupart des gardiens s’affairent donc au camp ou prêtent main-forte aux personnes évacuées, même si Joseph, lui, est resté en ville pour travailler sur la ligne de feu. Les gardiens ont aussi retenu les services de trois personnes pour assurer la sécurité des enfants près du fleuve, en plus de faire appel à deux cuisiniers supplémentaires et à un aide-cuisinier pour nourrir la communauté. Le fait d’avoir des cuisiniers de camp hautement qualifiés a été crucial – les gens qui ont été hébergés au camp ont été très heureux de se voir offrir d’excellents repas. Les gardiens sont également retournés en ville pour faire l’épicerie (et même travailler comme caissier pour aider le seul gérant restant au magasin!) et livrer des fournitures au camp d’évacuation d’une autre famille en amont de la rivière. 

Les membres de la communauté jouent à des jeux organisés par les gardiens

« Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que chaque personne se sente en sécurité et à l’aise, affirme Danny. « Nous préparons du poisson séché comme nous le ferions dans un camp de pêche « normal ». Nous avons organisé de nombreux jeux – bâton, lancer de ballons, lutte avec les jambes », ajoute Twyla. Les gardiens ont également organisé des séances de tambours sur le fleuve pour le nourrir et lui demander que tombe la pluie afin que les gens puissent rentrer à la maison – des maisons qui ont été sauvées grâce à un petit groupe déterminé composé de leaders de K’asho Got’ine, de membres de la communauté et de gardiens.

Poisson séché sur le site d’évacuation et dans le camp de pêche des gardiens

En réfléchissant aux dernières semaines, Twyla et d’autres leaders ont de nouveau souligné l’importance de la préparation aux situations d’urgence liées aux incendies de forêt et des formations à cet égard. Non seulement les gardiens ont reçu une formation, mais les dirigeants se sont également organisés pour faire appel à d’autres membres chevronnés de la communauté, comme Harvey Pierrot. Cette aide supplémentaire a fait toute la différence ce jour-là à Fort Good Hope. Les travailleurs municipaux de la communauté à charte de K’asho Got’ine ont également joué un rôle essentiel au sein de l’équipe d’intervention. « Dans le cadre de la relation entre les gardiens et la communauté – dans la lutte contre les incendies ou tout autre événement qui se produit à cet endroit – nous faisons toujours tout ce que pouvons, estime Twyla. C’est incroyable de voir l’amour et le dévouement que nous avons les uns envers les autres. Je suis très fière de mes collègues gardiens et des membres de notre communauté. » 

Kids from Fort Good Hope play games and in the water at fish camp

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La situation à Fort Good Hope évolue en temps réel et le feu brûle toujours activement à environ 11 kilomètres du camp de pêche des gardiens. Il y a quelques jours, des amis et des parents gwich’in des communautés de Teetl’it Zheh et de Tsiigehtchic ont recueilli des fonds et se sont réunis. Aujourd’hui, ils se sont dirigés vers le fleuve, apportant avec eux de la nourriture et des fournitures. Cette solidarité et ce soutien témoignent des valeurs chères aux Gwich’in et aux K’asho Got’ine, qui consistent à partager ce que l’on a et à s’entraider en cas de grand besoin. Le 6 juillet, l’ordre d’évacuation a été levé. 

Nous tenons à exprimer notre respect et notre admiration à tous les membres de la communauté, aux travailleurs, aux dirigeants et aux gardiens qui luttent activement contre le feu et qui apportent leur soutien à la communauté de K’asho Got’ine. L’équipe de la KGF qui a travaillé au village sur la ligne de feu ou dans le camp comprenait : le chef et vice-président Collin Pierrot; le président Darcy Edgi; le directeur général Danny Masuzumi; la coordinatrice des gardiens Twyla Edgi-Masuzumi; le sous-chef et gardien Joseph Tobac; les gardiens John Tobac et Buddy Gully et les trois gardiens saisonniers à temps plein Gordon Kelly, Francis Lafferty et Joel Lafferty, ainsi que l’assistante administrative et financière Sunny Kang.

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