Derrière la caméra : les gardiens racontent leurs expériences sur le territoire

par: Chelsie Parayko

24 février 2020

English

Dakota et sa fille Neila

Dakota et sa fille Neila

Depuis des temps immémoriaux, les récits ont été abondamment utilisés pour transmettre de l’information. Depuis votre tendre enfance jusqu'au moment où vous lirez ces lignes, les récits ont été omniprésents dans votre vie. Certains vous ont été lus par un professeur ou un camarade de classe, d'autres vous ont été racontés par un adulte. Certains récits sont des fictions, d'autres contiennent une leçon ou une morale, et d'autres permettent de mieux comprendre votre propre histoire. Les récits servent à communiquer des messages, à traduire des connaissances et à offrir des occasions d'apprentissage. Au sein des populations autochtones, cette forme d'apprentissage et de partage est un élément essentiel qui permet de transmettre le savoir de génération en génération.

Aujourd'hui, si un récit peut être raconté de différentes manières, deux choses restent inchangées : une personne raconte l'histoire (appelée gardienne du savoir dans le monde autochtone) et une personne reçoit ce savoir. Cette occasion de partage et d’apprentissage nourrit la relation entre ces deux personnes. À ce moment, le lien qui se crée peut façonner le parcours de vie de l’apprenant.

Il n’a jamais été aussi important d’accepter et d’adopter cette évolution dans les formes de partage des récits que dans l’année qui vient de se terminer. Pour assurer la sécurité de notre communauté, on nous a tous demandé de rester chez soi. Il fallait aplatir la courbe des cas de COVID-19, nous a-t-on dit. Nous avons dû changer notre manière de partager les récits et notre façon de vivre nos relations. Nous avons maintenant recours aux merveilles de la technologie et du Web pour rester en contact les uns avec les autres grâce aux clavardages vidéo, aux brefs enregistrements et à d'autres innovations. 

Pendant des années, j’ai cherché une façon de conserver nos récits. Je savais que la vidéo était la solution de l’avenir, mais je ne savais pas du tout par où commencer. Lorsque j'ai rejoint l’initiative du Groupe sur les récits, par l’entremise du mouvement des Gardiens pour la terre, j’ai su que c'était exactement ce que je cherchais! 

À partir de ce moment, j’étais impatiente de communiquer avec l'équipe des Gardiens pour la terre. À l'époque, je travaillais pour le programme des gardiens Wahkotowin. C’est à ce moment qu’on m’a confié le dossier des récits. Il est essentiel de raconter nos récits dans toute l'île de la Tortue, en particulier ceux qui nous permettent de renouer avec le territoire. Les récits fournissent un espace pour entrer en relation avec le monde extérieur. Cet espace permet non seulement aux gens d’être témoins de la contribution importante des programmes des gardiens, ils rassemblent aussi des gens qui partagent une vision commune. Grâce aux Gardiens pour la terre, j'ai découvert d’autres programmes et j’ai pu rencontrer des gardiens exceptionnels. Nos vidéos sont l'expression de notre voix commune. Ils permettent de sensibiliser les gens à l’importance de protéger nos territoires traditionnels. Cette initiative vise également à obtenir le soutien de la population en faveur d’un financement à long terme des programmes des gardiens d’un bout à l'autre du pays. 

Spontanément, j’ai eu envie de partager l’histoire de ma sœur Dakota et de sa relation avec le territoire. Pour honorer son histoire, je savais que je devais adopter une perspective autochtone. J'ai vu ma sœur devenir une femme magnifique grâce à la relation qu’elle entretient avec la forêt, à sa connaissance approfondie du territoire et à la transmission de ce savoir à ma nièce par des d’occasions d’apprentissage sur le territoire. Il faut que le monde entier entende son histoire. 

Je n'avais aucune idée de ce qu'impliquait la réalisation d’une vidéo sur cette histoire. J'étais complètement dépassée. Je ne m’étais jamais retrouvée derrière la caméra auparavant. J’ai dû apprendre tout le processus. Pour être honnête, j'étais terrifiée, je ressentais de la pression, car je partageais ce récit pour la première fois et de manière aussi percutante. J'ai tout appris, petit à petit.  Je me suis familiarisée avec les boutons de la caméra, j'ai appris à cadrer un plan et à produire une vidéo vraiment professionnelle. Lors de mon premier tournage, j'ai oublié de cacher le fil du micro. Vous pouvez me croire : je m’en suis souvenu la deuxième fois. Le tournage a été adapté à mon rythme d'apprentissage et je me suis sentie vraiment soutenue.   

Lors de notre première sortie de tournage, Dakota et moi étions toutes deux très nerveuses. Mais, Dakota s'adapte rapidement et après quelques questions, elle nageait comme un poisson dans l'eau. Nous avons ri et nous nous sommes remémoré les moments passés en famille sur notre territoire traditionnel. J’ai appris de nouvelles choses sur les expériences que Dakota a y vécues en cours de route.

Une branche de cèdre – l’un des remèdes traditionnels présentés dans cette vidéo

Une branche de cèdre – l’un des remèdes traditionnels présentés dans cette vidéo

Partager un récit d’une manière qui honore nos modes de connaissance, nos Ancêtres et leurs enseignements qui coulent dans nos veines peut vous transformer comme personne. Cette expérience m’a offert un espace de guérison, un sentiment de bien-être et de fierté par rapport à l’idée que c’est notre présence commune sur le territoire qui a permis la transmission de ce savoir. 

J'ai toujours été fière de ma sœur, mais le fait de tourner cette vidéo a renforcé ce sentiment. Je me sens privilégiée d’avoir pu capter ces moments magnifiques où elle communique avec assurance son savoir. Le plus extraordinaire a été de lui présenter le résultat final et de voir qu'elle était fière de ce qu’elle avait accompli. Ça a été un privilège d’être témoin de ce partage entre une mère et sa fille. Le partage du récit de Dakota et celui d’autres Autochtones est un acte de résilience. C'est très important.

Chelsie Parayko, la réalisatrice

Chelsie Parayko, la réalisatrice

Une fois le la vidéo terminée, nous l'avons présentée en avant-première sur Facebook Live et nous en avons ensuite discuté. J'étais l’animatrice et Dakota et ma collègue gardienne Isabelle Allen ont répondu aux questions des utilisateurs. On estime que 35 000 utilisateurs ont pu connaître son histoire, par la vidéo ou la discussion qui s’en est suivie. Aujourd’hui encore, l'histoire de Dakota continue d’être une source d’inspiration et de mettre en relation des gens à travers la nation, y compris d'autres gardiens qui partagent également leur histoire dans le cadre du mouvement des Gardiens pour la terre. 

Le récit de Dakota fait partie d’un vaste dialogue amorcé sur toute l'île de la Tortue (Amérique du Nord). Les gardiens autochtones veillent inlassablement sur La Terre, notre mère. Ils honorent l’héritage transmis par nos Ancêtres. C'est dans ce contexte que cette vidéo a pris tout son sens. Le récit est au cœur de l’histoire des Autochtones, dont il est aussi l’une des plus précieuses offrandes. C'est par le récit que nous transformons les connaissances en savoir, que nous tissons des liens significatifs avec les autres et que nous assurons la transmission du savoir d’une génération à l'autre.

Regardez la vidéo du récit de Chelsie mettant en scène Dakota et accédez à la séance de questions-réponses qui s’est déroulée en direct

Précédent
Précédent

Les programmes des gardiens favorisent la guérison sur le territoire

Suivant
Suivant

Les gardiens contribuent à la lutte contre les changements climatiques