La mine de la baie Voisey’s, les gardiens et la voie de la durabilité
La baie Voisey’s, au Labrador, est aujourd’hui largement reconnue comme étant un exemple de réussite en matière de durabilité. Cette région, où se trouve la mine la plus riche en nickel au monde, a pu étendre la portée de son programme d’intendance autochtone des terres, l’un des plus anciens au pays, tout en établissant de nouvelles normes en matière de consultation et d’accommodements. Le succès de ce programme a pavé la voie à la mise sur pied d’un réseau national des gardiens autochtones.
Depuis plus de deux décennies, les gardiens autochtones de la baie Voisey’s assurent une surveillance indépendante des activités sur le site de la mine et servent d’agents de liaison entre la minière et les communautés concernées. Leur travail a permis d’améliorer la communication entre les dirigeants autochtones, les gouvernements, les communautés et les responsables de la mine.
Ces gardiens peuvent en attester : comme pour les autres programmes des gardiens autochtones partout au pays, des voies de communications bien définies dans le cadre de projets d’exploitation des ressources sont bénéfiques tant pour les Premières Nations que pour l’industrie.
La surveillance autochtone ouvre la voie à la collaboration
Les débuts du projet n’étaient pourtant pas prometteurs : tumultueux, ils furent marqués par des affrontements armés et tendus ainsi que par des ordonnances d’expulsion.
Découvert par inadvertance en 1993 par la société d’exploration Diamond Field Resources, le gisement de nickel-cobalt-cuivre sur la côte du Labrador, dans le nord-est du Canada, est l’une des plus importantes découvertes de minéraux du 20e siècle. En 1996, Inco, qui appartient désormais à Vale, achète le gisement pour la somme de 4,3 milliards de dollars.
Au moment de la découverte du gisement, les peuples autochtones de la région traversent une période extrêmement difficile sur le plan social. Les communautés autochtones du Labrador (les Innus et les Inuits) vivent dans une pauvreté extrême, connaissent une épidémie de suicides chez les jeunes et ressentent une colère face à la façon dont l’industrie s’est développée sur leurs terres à travers les années. Les activités industrielles n’ont pas permis aux communautés autochtones de bénéficier d’emplois ou de retombées économiques.
En février 1995, les Innus décident de mettre fin à des décennies d’exploitation des ressources menée sans leur consentement. Les résidents émettent des avis d’expulsion à l’intention de la minière avant de se déplacer massivement de Davis Inlet à la baie Voisey’s, en motoneige, pour demander aux mineurs de quitter les lieux. Les employés de la Diamond Resources acquiescent à la demande et la Gendarmerie royale du Canada prennent place sur le site, provoquant un affrontement acrimonieux au campement d’exploration.
Heureusement pour toutes les parties, ce conflit est de courte durée. La minière entame des négociations avec les dirigeants innus et une entente est conclue rapidement. Outre l’obligation pour la minière de consulter régulièrement les communautés à l’égard du projet, l’entente prévoit que les Innus assurent la présence à temps plein sur le site d’un contrôleur environnemental afin de veiller à la protection de la terre et de la faune pendant les travaux exploratoires.
Les gardiens autochtones prennent soin de la terre
Près de 25 ans plus tard, le programme des gardiens Minashkuat Kanakutuataku de la nation innue embauche plus d’une douzaine de personnes à titre d’intendants dans l'ensemble du territoire du Labrador.
Depuis l’embauche du premier contrôleur à la baie Voisey’s, la portée du programme a été élargie et quatre contrôleurs formés sont maintenant présents sur le site minier. Conjointement avec les Inuits, les Innus jouent un rôle direct dans la surveillance réglementaire du projet, en coopération avec les gouvernements du Canada et de Terre-Neuve-et-Labrador.
Plusieurs autres gardiens innus sont déployés à travers la vaste forêt boréale. Ils veillent à la protection du poisson et de la faune, tout en aidant les communautés à gérer et à surveiller les récoltes. Le programme des gardiens de la forêt – le premier du genre – a permis de faire évoluer l’industrie forestière sur la voie du développement durable, notamment grâce au travail de techniciens forestiers innus qui s’appuie sur une gestion écosystémique pour surveiller l’exploitation forestière. Ils apportent également un soutien à la nation innue dans leurs négociations portant sur ses droits fonciers, dans la cogestion environnementale et dans la création d’aires protégées.
« Nous sommes très fiers à l’idée que chaque jeune de notre communauté qui le souhaite puissent réellement devenir un jour un Minaskuat Kanakutuataku, dit l’ancien grand chef innu Anastasia Qupee. Ce travail peut se transformer en véritable carrière où toutes les compétences inhérentes à l’identité innue – notre langue, notre connaissance de la terre, nos aptitudes en forêt – sont reconnues et valorisées. Les jeunes peuvent aussi acquérir de nouvelles compétences et obtenir différentes accréditations en emploi. »
La présence des gardiens favorise le soutien communautaire
Toby Poku a débuté sa carrière comme opérateur de machinerie à la baie Voisey’s. Il y a sept ans, après une carrière de plus d’une décennie, il a décidé de changer de cap pour devenir l’un des gardiens de la nation innue sur le site minier.
« Ce que je préfère de ce travail, c’est prendre soin de la terre, affirme Pokue. »
Comme il forme une équipe avec les gardiens du Nunatsiavut – où un programme de surveillance semblable a été mis en place par les Inuits dans le cadre de leur propre entente sur les répercussions et les avantages conclue avec la société – et le coordonnateur environnemental de la société minière, Pokue peut accéder à toutes les zones du site minier pour s’assurer qu’il n’y a pas de risques environnementaux, comme des déversements ou des menaces pour la faune.
« J’aime la liberté que procure ce travail, dit-il. Je peux aller où je veux. Ce que je préfère, c’est parcourir le territoire. C’est très amusant et je travaille avec une équipe fantastique. »
Il y a plusieurs années, lors de sa ronde quotidienne, Pokue a découvert la présence de déversements d'effluents dans un cours d’eau. Il a été en mesure d’alerter la minière, ce qui a évité un désastre environnemental encore plus grave de se produire et, au final, permis à la mine d’économiser sur les coûts de nettoyage. Il travaille maintenant sur un projet projet de construction d’une clôture autour de l’aire de stockage de résidus miniers afin d’empêcher la faune d’accéder aux bassins de résidus miniers.
Ce haut niveau de surveillance menée par des tiers autochtones a favorisé l'acceptabilité sociale de la mine au sein des communautés innues, affirme Valérie Courtois, directrice de l’Initiative de leadership autochtone et ancienne directrice du programme des gardiens innus. Les gardiens assurent une surveillance fondée sur une perspective autochtone et ce sont eux, et non la minière ou des consultants du secteur privé, qui d’acquittent d’une tâche très importante : transmettre les informations recueillies à leurs communautés dans leur propre langue.
« Les gens avaient très peur des répercussions de la mine sur le territoire, sur le caribou de la rivière George et sur le mode de vie innu dans cette région, soutient Courtois à propos de la réaction initiale des communautés au projet minier.
Mais ils ont été rassurés de voir des gens travailler pour la nation innue, vêtus d’habits innus. De les voir informer les Innus de ce qu’ils avaient vu – ces gardiens avaient accès à davantage de zones sur le site qu’un gestionnaire. »
La présence des gardiens sur le site a permis aux minières d’améliorer leurs relations avec les communautés et de renforcer leurs mesures de protection environnementales. Si elle peut se targuer d’être le plus grand employeur d’Autochtones du secteur privé au Canada, l’industrie minière peut compter sur l’aide des gardiens autochtones pour mobiliser et accroître le rôle des nations autochtones dans le développement de compétences professionnelles et la cogestion des projets.
« Sur le terrain comme lors de réunions avec les dirigeants, l’action des gardiens autochtones permet d’améliorer la communication entre la direction, les membres de la communauté et les sociétés intéressées à accéder aux ressources, affirme Pierre Gratton, président et chef de la direction de L'Association minière du Canada. La capacité de gérer les terres est essentielle à la santé des communautés. Les communautés fortes et saines font de bons partenaires. »
Le travail des gardiens figure dans l’entente sur les répercussions et les avantages (ERA) de la baie de Voisey’s signée par les Innus et les Inuits du Labrador en 2002. L’entente établit également les engagements en matière d’emploi relatifs aux Innus et aux Inuits sur le site minier, et exige que l’on donne préséance aux entreprises appartenant à des Autochtones pour la prestation de produits et services à la baie Voisey's. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador estime à 20,7 milliards la contribution de la mine au produit intérieur brut de la province pour toute la durée de sa période d’exploitation.
Un modèle pour la consultation communautaire
Pour Larry Innes, ancien conseiller environnemental de la nation innue, le cas de la baie de Voisey’s fait ressortir d’importantes leçons pour les responsables de projet d’exploitation des ressources qui peinent à lancer leurs activités et qui s’interrogent sur les exigences fondamentales devant être respectées avant d’entreprendre un projet d’exploitation des ressources sur un territoire autochtone.
« La mine de la baie Voisey’s sert aujourd’hui d’exemple à suivre en matière de durabilité d’un projet d’exploitation des ressources et illustre comment les Autochtones peuvent participer de façon concrète à la protection environnementale et culturelle des sites miniers. Il démontre aussi comment les gouvernements peuvent réellement collaborer au processus de décision conjoint concernant l’exploitation de ressources de grande envergure, soutient Innes. À la baie Voisey’s, toutes les parties se sont réunies et ont présenté leurs propres perspectives en respectant les besoins des autres. Au lieu de tenter d’imposer leur loi, les parties ont su établir ensemble des modalités de projet aux retombées positives. Ce n'est pas dans le cadre de tous les projets qu’on arrive à ce résultat! »
Le projet novateur de la baie Voisey’s a élevé les normes en matière de consultation au Canada. Le projet a pu aller de l’avant parce qu’il a satisfait aux exigences du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (CPLCC). L’exploitation de la mine a commencé il y a plus de 15 ans et elle devrait se poursuivre pendant une autre quinzaine d’années. Le CPLCC a contribué à rendre cela possible.
En favorisant la recherche d’un consensus et en adoptant une approche durable, les gardiens autochtones de la baie Voisey’s ont inspiré les gouvernements autochtones régionaux qui ont fini par soutenir le projet. Loin d’être un lieu de conflit et de ressentiment, la mine a engendré des répercussions positives pour l’ensemble des communautés, des gouvernements et de l’industrie dans une région éloignée du Labrador, en plus d’avoir créé une nouvelle norme en matière de collaboration applicable partout.